16 décembre 2015

Jour d’école

C’est avec beaucoup de plaisir et une certaine nostalgie que je regarde les enfants passer à ma devanture les matins. Voir leurs mines tristes ou enjouées, les mamans inquiètes ou visiblement fatiguées tenant la main des plus jeunes, les « moins » jeunes collégiens et lycéens. Je me demande maintenant que j’en parle, pourquoi il y a plus de mamans qui emmènent leurs enfants à l’école que les papas.

Reminiscing time…

Voir ce petit monde s’activer me ramène à mon enfance. De doux souvenirs. Pour ceux qui connaissent Lomé, je suis né à Tokoin Ramco et j’ai fait mes premiers pas scolaires à l’école AMESIKA (à côté de la pouponnière). Je me rappelle de mon père me remorquant sur sa vieille mobylette, celle qu’il avait héritée de mon grand-père. Je me rappelle surtout de ces longues distances que ma mère se tapait pour venir me chercher, le retour en taxi à midi, à pied le soir. Je me rappelle de mes oncles et tantes maternels qui se tapaient eux aussi cette corvée, de temps à autre.

Je me rappelle ce jour où, âgé de 5 ans, j’ai décidé rentrer tout seul à la maison, ma mère étant en retard- mes fesses m’ayant inculqué ensuite la notion du temps – de dix minutes.

Cette préoccupation d’être toujours proche de nos établissements scolaires a poussé mes parents à déménager à plusieurs reprises. L’école, l’éducation voyez-vous était à leurs yeux le bien le plus précieux. Le seul héritage qu’ils voulaient/ pouvaient nous laisser, c’était justement et uniquement celui-là. Je parle de mes parents, et en même temps je pense à nombre de parents de ma génération. L’école garantissait, garantirait notre futur. Je revois mes années au collège et lycée défiler devant moi. La vérité, voyez-vous, c’est que nos plus belles années, nous les passons sur les bancs de l’école. Nos plus belles rencontres, et nos premières vraies expériences de vie…

Je me souviens avoir soutenu le coup de moments difficiles, moralement et financièrement en me raccrochant à mes études. Il ne pouvait se produire que le meilleur, tant que nous progressions dans les études. Quand les cahiers vont, tout va…

Je me rappelle avoir quitté la maison de mes parents à 4 heures du matin, pour trouver une place en amphi. Un amphithéâtre de 500 places, qui pouvait accueillir 600 étudiants et beaucoup plus si on comptait ceux assis dans les allées, les escaliers, et ceux sous les arbres à l’extérieur. A 5 heures du matin, il était difficile, voire impossible de trouver des places, et pourtant, le cours n’était qu’à 10 heures, parfois même à 15 heures. Il fallait donc les réserver, puis s’assurer de les retrouver quand on en aurait besoin.

Je me rappelle avoir traversé la seule vraie dépression de ma vie à la fin de mon année de Licence, introduction du LMD oblige, une seule matière m’obligeait à l’époque à perdre toute une année, à accuser du retard sur le plan de « carrière » que j’avais établi. Parlant de carrière justement, j’ai toujours voulu être enseignant.

Ma mère raconte, quand elle veut se payer ma tête, comment, au retour de l’école, je mimais l’enseignant en faisant cours à des élèves imaginaires. Moi je me rappelle surtout mes doigts blessés à force de taper des élèves imaginaires qui n’étaient en réalité que des murs.

Je me rappelle également de cette journée de 2010 où j’ai obtenu le tout premier sésame. Jour où les réalités se sont peu à peu imposées à moi, mais je vous en avais déjà parlé. Oui, un coup d’œil à mon portail suffit à faire remonter toutes ces choses en moi, et bien d’autres choses encore.

Passé ces moments de nostalgie et de rêve, mon sourire s’efface pour faire face à la réalité.

 What now?

Je me rends alors compte que cette aspiration des parents à pousser leur progéniture à faire des études est restée la même. Ce sont les conditions du jeu qui ont changé, en ne changeant pas vraiment.

Je fais volontiers l’impasse sur ces quatre dernières années marquées par des grèves à répétition. Je me rends compte que le programme scolaire est resté le même dix ans (en arrondissant, par excès et par anticipation) après mon Bac. Que la génération internet est soumise aux mêmes galères que nous autres. Etant passé de l’autre côté, j’écoute à longueur de journée la même rengaine qui voudrait que les étudiants ne soient pas très doués (pour rester diplomatique).

La formation qu’on leur sert est-elle adaptée à leurs besoins? à leurs aptitudes? Adaptée aux réalités du monde de l’emploi, de l’inexistence d’emploi pour être correct. Cette formation prend-elle en compte leurs centres d’intérêts? Leurs aspirations? 

Au détour d’une discussion, un de nos enseignants, Maître de Conférence de son état nous avait avoué avoir suivi ses cours dans le même amphi que nous, en son temps. « La seule chose qui a changé, disait-il, c’est que maintenant cet amphi n’a plus de climatisation et plus de fenêtres ».

La situation a changé parce que « de mon temps » (souffrez de mon âge avancé), on pouvait aisément croiser des enfants de nantis au milieu de nous autres de classes « inférieures ». Ils étaient logés à la même enseigne que nous, l’Université publique étant le seul endroit à même de leur fournir tout ce qu’il fallait comme formation. Cette même formation qui tend à devenir un luxe, réservée de plus en plus à des privilégiés. Tout est affaire de privatisation de nos jours, et le privé n’est pas donné.  Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil aux conditions d’étude dans les universités publiques il faut vraiment y croire ou être sacrément insouciant (ou démuni) pour s’y mettre.

L’école et les études, c’était avant tout et surtout une course dont on connaissait le point de départ et dont on pouvait voir (imaginer) l’arrivée. De nos jours, seule la ligne de départ est visible.

Je retourne donc sur le pas de ma porte, et je regarde ces « enfants » passer, et au lieu de sourire, j’écrase une larme au coin de mon œil, et secrètement, j’espère que des lendemains meilleurs les attendent, que la lumière se cache au bout du tunnel. Que ces parents qui se saignent et ces petits frères qui y croient ne verront pas leurs espoirs déçus.

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Commentaires

Mawulolo
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Joli billet dans lequel tout jeune Togolais et même d'autres pays d'Afrique se reconnait facilement.
Merci Cyrille, en attendant de te connaître

Cyrille K. NUGA
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Merci bien tonton. En attendant également de faire ta connaissance. Je te souhaite une agréable journée.

Djifa Nami
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Joli texte d'hommage à notre enfance, et de rappel à nos misères, à tous ces problèmes qui ne changent pas dans le bon sens. Je suis contente que l'inspiration revienne, meme si mélancoliquement...

Cyrille K. NUGA
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Merci beaucoup grande sœur. J'ai encore un petit billet mélancolique à faire passer et je vais retrouver ma bonne humeur.