29 mai 2015

Et de 3 pour Gnassingbé II

«Ite missa est » ? Même prononcées par un faux célébrant, qui ne pense que par sa panse et/ ou sous la menace d’une baïonnette, ces paroles doivent bien résonner dans la tête de plus d’un de mes compatriotes. Dans la mienne, elles résonnent en tout cas.

La messe est dite, chers compatriotes, enfin, en principe du moins. Allons dans la paix du Fils.  En vérité, en vérité je vous le dis, la paix, la vraie, seul le Fils du père la donne et la pérennise. La paix des routes bitumées aux mille et une vertus, celle des grèves (pour les privilégiés qui ont un emploi), celle de la galère, de la misère et du système D pour la majorité bruyante, celle de l’opulence et des privilèges, pour la minorité (qui s’accapare les richesses du peuple). Ainsi va le Togo, les riches, toujours plus riches et les pauvres…

Nombreux furent les appelés et désireux d’un troisième mandat, certains ont tout perdu, d’autres tirent sur tout, tout le monde et partout, entre deux parties de foot ou de Nintendo et peu furent élus (de gré ou de farce). L’adage « jamais deux mandats sans trois » a pris tout son sens, au Togo du moins.

Passer de l’état d’homme à la stature d’homme d’Etat n’étant apparemment pas à la portée de tous, le vin-aigre étant tiré, buvons.

Buvons à toutes nos frustrations, nos échecs, aux cinq prochaines années de reconduction de ce contrat qui semble être à vie. Buvons, en nous posant les bonnes questions, en nous évaluant et en essayant de tirer les leçons de cette énième déconvenue. Ces leçons justement…


Le premier enseignement à tirer de ces élections présidentielles est le suivant, le premier parti au Togo, c’est le parti du Peuple. Il est vrai qu’entre la clôture des bureaux de vote et la proclamation des résultats (et même les jours qui ont suivi) beaucoup ont appris les rudiments de l’arithmétique. La leçon est et demeure cependant la même. Quelles sont les raisons de la victoire du parti du Peuple ? La question demeure. On pourra émettre des hypothèses, une lassitude de la langue de bois maniée à la perfection (?) par les politiques, une consigne de boycott passée par des « opposants » has been et plus très opposés, des occupations sérieuses qui n’auraient attendu que le 25 avril…L’hypothèse pour laquelle je penche, c’est celle de la lassitude. Comme disent les «jeunes», la flemme de cette classe politique qui a échoué à proposer du concret, du neuf. Flemme de ces personnes qui des deux côtés ont échoué à écouter le peuple, et à prendre leurs aspirations en compte. Flemme de cette classe politique qui peine à se renouveler, à se remettre en cause aussi. Au fond, qui veut écouter, sans l’être en retour ? Qui aspire à voir ses espoirs toujours déçus ? Si je voulais prendre de l’avance sur le point 2, je dirais que ceci est une très bonne nouvelle, mais patience, nous y arrivons.


Deuxième enseignement, pas très éloigné du premier et tout aussi riche de sens. Il n’existe pas ou quasiment plus de vote ethnique au Togo. Mais a-t-il vraiment déjà existé ?Mon éveil à la compréhension de la situation politique dans mon pays a été, je l’avoue lent. La première fois que j’ai senti cette notion de vote ethnique, c’était en 2005, je vous épargne les détails de cette présidentielle. En 2007 cependant, cette notion, jusque-là floue s’est précisée. La sentence « Le RPT remporte la totalité des sièges» prononcée par le président de la CENI d’alors résonne encore dans ma tête. En effet, plus on s’éloignait de Lomé, moins les sièges étaient acquis aux partis d’opposition. En somme, le Nord votait le parti au pouvoir, le Sud, les opposants.  Scénario reproduit à l’identique en 2010, 2013 et en 2015. Pourquoi changer une méthode qui porte des « fruits » ? A qui profite une telle lecture de la situation politique ? Pourquoi faire penser qu’il y a deux catégories de Togolais ?  Certains en sont donc réduits à reproduire et pérenniser les schémas de la période coloniale pour régner. En somme, le message à retenir c’est que le Togolais du Nord est réfractaire au changement et heureux de son sort et celui du Sud est le seul à ne pas voir que tout va bien. Ce qui est paradoxal c’est que la misère et les souffrances n’épargnent aucune ville de ce pays, aucune ethnie n’est logée à une meilleure enseigne. Le vote ethnique a rendu l’âme parce que togolais du Nord et du Sud ont décidé de porter à la tête de ce pays…l’abstention. Le silence en politique, l’abstention n’a jamais été synonyme d’approbation. Sans toutefois être un expert de la chose politique, je crois que ce message vaut la peine d’être entendu.


Leçon 3, la nécessité d’une opinion nationale forte. J’ai été fasciné par l’attente béate dans laquelle certains se sont réfugiés (moi aussi par moments), quand le vinaigre a été tiré. « Attendons ce que la communauté internationale va dire », « De toute façon, les chancelleries ne lui donneront pas de caution », « La communauté internationale ne le laissera pas faire » , etc. Il y a longtemps que nous nous faisons en*****, par cette chère communauté, et nous en sommes réduits à attendre sa réaction. Et cette fois encore, François le Français et sa vassale de la francophonie (dont l’émissaire a été acteur, spectateur et victime d’une tragi-comédie purement togolaise), se sont livrés au jeu de la « lettre de félicitations ». L’avènement de cette opinion nationale est vital dans la mesure où elle aura le mérite de faire exister une voix intermédiaire entre les deux camps politiques dont nous ne sommes toujours pas le premier souci. Un troisième acteur décidé à renouer avec sa fonction première d’employeur et de contrôleur de la vie publique. Des acteurs vigilants et regardants plutôt que des spectateurs apathiques ou résignés. Quand je pense à la guerre d’information à laquelle nous avons assisté entre le 25 avril au soir et le 3 mai, je me dis que s’il nous reste beaucoup de travail à faire, du chemin a été accompli.


Quatrième station, un engagement politique franc et honnête (leçon ? recommandation ?). J’entends d’ici certains rires, franchise et honnêteté en politique, celui-ci est un idéaliste d’une naïveté sans pareil. A ceux-là, je me permets de répondre que l’hypocrisie et la politique du ventre ont mené notre pays où il est. De la conférence nationale (et même bien avant) à ce jour, nous avons été malades de nos politiques, malades de notre politique, malade de l’ego de pseudo leaders. Je vais éviter de me répéter et de retourner au point 3. Il ne faut cependant pas des talents de prophète pour dire que le chemin de l’alternance, la victoire du peuple togolais (ceci n’est pas un slogan légitimant une victoire électorale usurpée) ne passera par aucun des acteurs politiques présents en ce moment. Elle devra passer par le peuple, une révocation du mandat de fait et en apparence absolu que nous avons semblé accorder à certains politiques.

Un engagement politique franc est celui dans lequel on se reconnaît et qui répond à nos aspirations. Cela n’est pas faire le choix du nombre, on peut être nombreux à avoir tort, mais c’est un engament que l’on assume et qui nous définit. J’ai eu à le dire, et je me répéterais ici, on n’a pas besoin d’apprécier dans le regard d’autrui une caution à un choix que l’on assume. Ce choix cependant se doit d’être honnête, pas une couverture ou un état passager et refléter les ambitions que nous nourrissons pour notre pays. Ce choix devient alors une conviction.

Quatre leçons, même si nous pouvons en tirer plus. Quatre, comme dans « jamais trois mandats sans quatre », nous avons toujours eu le chic par ici de concrétiser l’inconcevable et l’inimaginable, de créer des jurisprudences que d’autres s’empressent de reproduire… Aux dernières nouvelles, la limitation des mandats n’est même pas envisageable sous nos cieux, ce qui rend impérieux le changement des conditions dans l’arène politique comme en dehors. Le message du 25 avril, même altéré a été entendu, et est un premier signe fort. La deuxième salve se doit d’être une vigilance de tous les jours, demander des comptes ne doit plus être un concept abstrait ou lointain. Place donc à une vigilance citoyenne avec conviction, méthode et efficacité.

« Sentinelle, que dis-tu de la nuit? » La nuit a été longue, mais le jour n’a jamais été aussi proche.

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Commentaires

fabio
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J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ton post comme toujours d'ailleurs. Je pense que tu as tout dit le changement au Togo ne passera pas par la classe politique actuelle. Qui vit d'espoir ne meurt jamais dit on alors gardons l'espoir qu'un jour le peuple arrache sa liberté des mains de ceux là qui font de l'Etat leur royaume

Cyrille K. NUGA
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Merci beaucoup très cher ami, que l'espoir en plus de nous empêcher de mourir nous fasse vivre.

Serge KASSANDA
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Pas mal inspiré dans l'analyse mais la conclusion l'est moins dans la mesure où si vous actez le fait que la limitation des mandats est enterrée tout s'écroule et votre conclusion n'a alors aucun sens.
Le refus de la limitation des mandats procède d'une logique de confiscation du pouvoir dans ces conditions le changement des conditions dans cette fameuse arène se heurtera à cette même logique comme tout le reste. Je vous exhorte jeune frère à refuser toute compromission car les peuples qui empruntent ce chemin se retrouvent sur la voie de l'échec assuré. Levons nous et restons droit devant l'imposture. Cordialement.

Cyrille K. NUGA
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Dans ma conclusion je prends pied sur l'absence de limitation de mandats pour exhorter encore plus mes compatriotes à rentrer dans l'arène et à s'approprier la lutte pour l'alternance. Je crois que vous ne m'avez pas bien compris. Merci beaucoup d'avoir prêté attention à ce billet et j'espère vous lire de nouveau très vite.

Wence
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Très bel article, empreint de bon sens... Il y a les beaux jeux de mots (les jeux de mots laids font les jambettes ?)... Allez, je ne vais pas dire que je ne suis pas d'accord avec le fond... on va juste dire que ce que tu penses si bien, est l'idéal et que trop souvent dans ce bas-monde, de la théorie au réel (ou à la pratique) il y a toujours bien plus d'approximations qu'on ne s'attend à en avoir. A l'échelle nationale, ces approximations, foutus rapprochements inattendus te modifient tellement ta théorie que tu ne la reconnais même plus... Il parait que c'est comme ça que la face du monde change l'homme???. Enfin, point n'est besoin de t'en convaincre, le temps, monstre froid s'en occupe à un moment ou à une autre. Ton billet part dé bonnes intentions, c'est déjà ça... et les jeux de mots retors m'ont fait sourire à la pause déjeuner. Thank you, on devrait refaire un article conjoint avec des points de vue antagonistes un de ces 4. Enfin, si tu veux bien d'un pauvre salaud...

Cyrille K. NUGA
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J'ai horreur de parler politique très cher salaud, mais je sens que je vais en parler de plus en plus. Si jamais l'inspiration est au rendez-vous, ce serait avec le plus grand plaisir.

Aristide
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Houmm bien, surtout la conclusion, l'exercice de la vigilance citoyenne doit être notre credo

Cyrille K. NUGA
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Exactement cher Aristide, un combat de tous les jours.

renaudoss
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Quatre leçons précieuses!
Quoique je l'avoue, je te trouve très idéaliste sur certains points, notamment le vote ethnique. Je penses que c'est une chose qui persiste de manière diffuse mais tout de même secondaire, quand il n'y a pas un facteur sur-déterminant (comme la féroce envie de bouter dehors un pouvoir suranné et vampire) ce penchant pointera le bout de son nez.
D'autres parts, ces élections me rendent très désabusés par rapport à cette fameuse classe politique, je crains fort que ces recommandations tombent dans les oreilles d'un sourd: noyé dans l'immense puits sans fond, de trahisons, de mesquineries et de bassesse, qu'est la classe politique togolaise. Car on ne la voit pas encore se renouveler, celle-là, les "nouveaux" prennent juste les mêmes et recommencent.
ça se règlera d'une autre façon ou ça ne se règlera pas.

Tenons donc fermement cet espoir: "« Sentinelle, que dis-tu de la nuit? » La nuit a été longue, mais le jour n’a jamais été aussi proche"

Cyrille K. NUGA
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Sur le vote ethnique justement nous avons commencé à débattre, faudra d'ailleurs qu'on poursuive la discussion. J'ai bon espoir en tout cas que les choses évoluent, cela repose sur toi et moi, sur nous tous en somme. Merci très cher ami.

Seydou KONE
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ce sera bientôt et de 4 et de 5 et de 6 parce que faure sera assez fort tant qu'on restera dans un attentisme sacrificiel.

Cyrille K. NUGA
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Une posture attentiste et défaitiste nous y mènera à coup sûr, de toute façon nous avons, je crois notre destinée en main. Merci beaucoup d'être passé par ici cher ami.

Mawulolo
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Moi j'ai plutôt dit ça ...
https://mawulolo.mondoblog.org/2015/05/20/togo-la-nuit-est-longue-et-le-jour-ne-semble-pas-venir/