Bruits et fureurs électoraux
Dimanche 12 Avril, il fait une chaleur à peine supportable. 30° à l’ombre, c’est ce que dit mon téléphone. Il est presque 13 heures et j’en ai marre de me retourner au salon, rien de bon à la télé de toute façon. On dirait d’ailleurs qu’il y a un complot des chaînes télé pour nous servir de l’insipide les dimanches justement. J’appelle alors cette demoiselle, elle semble réceptive à mes appels de phare ces derniers temps. Passer lui dire bonjour et récolter une petite avance sur câlins ne me ferait pas de mal. Je sors donc de la maison, les quinze mètres me séparant de la route principale sont vite avalés. Je hèle le taxi. Il arrive à mon niveau, je lui donne ma destination, le prix est majoré de 150f. Non, il n’y a pas de hausse du prix du pétrole, juste trop de déviations, pays en chantier. Il fait chaud, si je le zappe, je risque d’attendre de longues minutes (oui, c’est dimanche), alors…
Je monte, un bonjour général et je me mets à scruter l’intérieur du véhicule. Le siège du devant est vide. Je suis assis aux côtés d’une jolie dame (la trentaine,au calme), qui elle-même se trouve aux côtés d’un monsieur qui m’a l’air de ne pas être très sympathique. Mon trajet fait à peine vingt minutes, son air n’y changerait pas grand chose. Nous roulons à peine 2 minutes et débouchons sur ce rond point assez imposant, feu rouge, tout le monde s’arrête. Tout est recouvert d’affiches. Ah oui, j’ai oublié de vous dire, nous sommes en pleine campagne électorale, la présidentielle. Bref l’équipe de campagne du président sortant «Fiatouwo Edem Gagnon» était en pleine démonstration de force, un boucan digne d’une église de réveil. Moi ça ne me faisait ni chaud, ni froid, c’est bien le moment, battez les pavés.
Des propos nauséabonds …
A la vue de ce spectacle, la dame à mes côtés a commencé à exprimer son mécontentement : « Dites à ces chiens du Sud de quitter le pouvoir, nous allons remporter ces présidentielles. Une fois que ce sera fait, vous allez comprendre. Nous allons vous faire la peau un à un, bande de sauvages. ». Replaçons les choses dans leur contexte : Fiatouwo est tout comme le premier président de mon pays, issu d’un « métissage », son père à lui est du Sud et sa mère du Nord. Il brigue un troisième mandat, après avoir pris le pouvoir à la mort de son père.
La réaction de cette dame dans le taxi a provoqué la stupeur chez nous autres, nous étions tous interdits. L’ayant laissé cracher son venin, le chauffeur répondit à la dame qu’il ne partageait pas ses propos : « Mon épouse est du Sud, Madame, je devrais les tuer aussi ? Vous tueriez mes enfants et mon épouse dans ce cas ? » La dame se contenta de lui répondre que seuls les chiens prenaient pour épouses des femmes du Sud : « Je me fous totalement de votre famille, ils auront juste ce qu’ils méritent ». Une tension palpable meubla le reste du trajet, du moins jusqu’à la descente de la dame. Les langues se délièrent ensuite, enfin celle du monsieur « pas très sympathique » surtout. Il nous a dit être commerçant, originaire du Nord et ne roulant pas vraiment sur l’Or. Mais il soutenait sincèrement la politique de Fiatouwo et voterait pour lui aux prochaines présidentielles. Selon ses dires, beaucoup de choses ont été faites et qu’il pense qu’avec les routes, un avenir radieux se présentait à notre pays. Je suis loin de partager son avis et ses convictions, c’est vraiment peu de le dire. Je suis cependant resté admiratif devant ce concitoyen qui, défendait sincèrement ce candidat dans lequel je ne me retrouve pas, par conviction et non pour les sous qu’il aurait reçu. Une chose que je respecte plus que l’intelligence, ce sont les principes et les convictions, non motivés par des billets de banque et/ou des ambitions malsaines. Il avait ses raisons, il n’a peut-être pas la même lecture que moi de la situation de ce pays nôtre, mais sa voix compte, autant que la mienne.
J’ai fini par descendre, avant ce monsieur. Ma visite n’a pas porté grand fruit d’ailleurs, le papa de la donzelle était rentré entre temps. Zéro bisou, à peine ai-je pu la voir 10 minutes, elle était affairée en cuisine. Dimanche, j’ai envie de dire « jour maudit ». Pour tuer le temps (rentabiliser les sous que je venais à peine de…perdre), j’ai décidé braver, à la « Johny walker » les déviations. S’en fout la chaleur, la poussière etc. J’avais au moins un kilomètre et demi à avaler pour faire une économie conséquente mais bon… Les affiches électorales, il y en avait partout, de toutes les tailles et couleurs. Affichage anarchique, envahissant, barbare, sans aucun respect pour les propriétés privées, les arbres en bordures de routes pris d’assaut, les panneaux de signalisation, même les églises, les mosquées… S’il ne faut se limiter qu’à ces affiches, un seul candidat se présentait, mais bon, c’est une autre paire de manches.
Un militantisme d’un autre temps
Je m’arrête enfin à cette station et monte dans un taxi, direction la maison. Ma frustration est à son paroxysme, j’aurais au moins pu me payer à manger le lendemain, si je n’étais pas sorti. Nouveau taxi, nouveaux occupants. Taxi plein cette fois-ci. Trois dames derrière, plus moi, parce que j’étais le plus mince, et un monsieur devant. Le taxi démarre, et ça parle de tout et de rien derrière, normal, ces dames se lâchaient. Ça devait arriver, à un moment donné, les bonnes dames ont commencé à parler politique. Et ça parle de tous les candidats, ça décortique. Fiatouwo aurait snobé les dames du grand marché victime d’un incendie, son légendaire opposant Fiekpewè aurait passé son temps à marcher au lieu de se préparer sérieusement aux joutes électorales. Le président sortant serait resté silencieux devant les grognes sociales, d’ailleurs il communique exclusivement par le silence. Le monsieur de devant a cru bon, lui aussi rajouter son grain de sel : « Les élections dans ce pays n’ont jamais été crédibles, elles ont toujours été truquées et Fiekpewè a toujours été triché, dépouillé de son dû ». Ce devait assurément être la réflexion de trop, le chauffeur s’arrêta net, en pleine chaussée: « Ici, on soutient Fiatouwo ou rien, c’est ma voiture, vous sortez ou je vous sors de force, espèce de … ». Je me suis mis à bénir intérieurement ma frustration, je me serais fait jeter aussi si j’avais ouvert la bouche.
En rire ou en pleurer? Un taximan qui éjecte des clients parce que ces derniers ne supportent pas « son » candidat. Mieux (pire) cette dame qui tient des propos abjects et clairement tribalistes à cause de motivations clairement politiques.
La même journée, deux taxis, des attitudes extrémistes, des citoyens d’un même pays, qui n’ont rien compris, une tonne de comportements à risque. Que faut-il penser de tout cela ? Ne nous sommes-nous pas assez déchirés et tués pour des causes et des personnes qui n’en valaient pas la peine? Ne pouvons-nous pas être plus intelligents que ces politiques qui, sans toutefois se préoccuper de nous réussissent à nous diviser?
L’adversaire, selon le Dictionnaire universel, c’est « la personne à laquelle on est opposé, contre qui on lutte« . L’ennemi par contre c’est « la personne qui hait quelqu’un, qui cherche à lui nuire« .
Ce récit, à quelques détails près est hélas basé sur des faits réels. Ne nous trompons ni de combat, ni d’adversaire. Le 25 Avril n’est assurément pas le jour de la fin du monde.
Allumons nos cerveaux !
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