15 avril 2015

Bruits et fureurs électoraux

Dimanche 12 Avril, il fait une chaleur à peine supportable. 30° à l’ombre, c’est ce que dit mon téléphone. Il est presque 13 heures et j’en ai marre de me retourner au salon, rien de bon à la télé de toute façon. On dirait d’ailleurs qu’il y a un complot des chaînes télé pour nous servir de l’insipide les dimanches justement. J’appelle alors cette demoiselle, elle semble réceptive à mes appels de phare ces derniers temps. Passer lui dire bonjour et récolter une petite avance sur câlins ne me ferait pas de mal. Je sors donc de la maison, les quinze mètres me séparant de la route principale sont vite avalés. Je hèle le taxi. Il arrive à mon niveau, je lui donne ma destination, le prix est majoré de 150f. Non, il n’y a pas de hausse du prix du pétrole, juste trop de déviations, pays en chantier. Il fait chaud, si je le zappe, je risque d’attendre de longues minutes (oui, c’est dimanche), alors…

 Je monte, un bonjour général et je me mets à scruter l’intérieur du véhicule. Le siège du devant est vide. Je suis assis aux côtés d’une jolie dame (la trentaine,au calme), qui elle-même se trouve aux côtés d’un monsieur qui m’a l’air de ne pas être très sympathique. Mon trajet fait à peine vingt minutes, son air n’y changerait pas grand chose. Nous roulons à peine 2 minutes et débouchons sur ce rond point assez imposant, feu rouge, tout le monde s’arrête. Tout est recouvert d’affiches. Ah oui, j’ai oublié de vous dire, nous sommes en pleine campagne électorale, la présidentielle. Bref l’équipe de campagne du président sortant «Fiatouwo Edem Gagnon» était en pleine démonstration de force, un boucan digne d’une église de réveil. Moi ça ne me faisait ni chaud, ni froid, c’est bien le moment, battez les pavés.

Des propos nauséabonds …

A la vue de ce spectacle, la dame à mes côtés a commencé à exprimer son mécontentement : « Dites à ces chiens du Sud de quitter le pouvoir, nous allons remporter ces présidentielles. Une fois que ce sera fait, vous allez comprendre. Nous allons vous faire la peau un à un, bande de sauvages. ». Replaçons les choses dans leur contexte : Fiatouwo est tout comme le premier président de mon pays, issu d’un « métissage », son père à lui est du Sud et sa mère du Nord. Il brigue un troisième mandat, après avoir pris le pouvoir à la mort de son père.

La réaction de cette dame dans le taxi a provoqué la stupeur chez nous autres, nous étions tous interdits. L’ayant laissé cracher son venin, le chauffeur répondit à la dame qu’il ne partageait pas ses propos : « Mon épouse est du Sud, Madame, je devrais les tuer aussi ? Vous tueriez mes enfants et mon épouse dans ce cas ? » La dame se contenta de lui répondre que seuls les chiens prenaient pour épouses des femmes du Sud : « Je me fous totalement de votre famille, ils auront juste ce qu’ils méritent ». Une tension palpable meubla le reste du trajet, du moins jusqu’à la descente de la dame. Les langues se délièrent ensuite, enfin celle du monsieur « pas très sympathique » surtout. Il nous a dit être commerçant, originaire du Nord et ne roulant pas vraiment sur l’Or. Mais il soutenait sincèrement la politique de Fiatouwo et voterait pour lui aux prochaines présidentielles. Selon ses dires, beaucoup de choses ont été faites et qu’il pense qu’avec les routes, un avenir radieux se présentait à notre pays. Je suis loin de partager son avis et ses convictions, c’est vraiment peu de le dire. Je suis cependant resté admiratif devant ce concitoyen qui, défendait sincèrement ce candidat dans lequel je ne me retrouve pas, par conviction et non pour les sous qu’il aurait reçu. Une chose que je respecte plus que l’intelligence, ce sont les principes et les convictions, non motivés par des billets de banque et/ou des ambitions malsaines. Il avait ses raisons, il n’a peut-être pas la même lecture que moi de la situation de ce pays nôtre, mais sa voix compte, autant que la mienne.

J’ai fini par descendre, avant ce monsieur. Ma visite n’a pas porté grand fruit d’ailleurs, le papa de la donzelle était rentré entre temps. Zéro bisou, à peine ai-je pu la voir 10 minutes, elle était affairée en cuisine. Dimanche, j’ai envie de dire « jour maudit ». Pour tuer le temps (rentabiliser les sous que je venais à peine de…perdre), j’ai décidé braver, à la « Johny walker » les déviations. S’en fout la chaleur, la poussière etc. J’avais au moins un kilomètre et demi à avaler pour faire une économie conséquente mais bon… Les affiches électorales, il y en avait partout, de toutes les tailles et couleurs. Affichage anarchique, envahissant, barbare, sans aucun respect pour les propriétés privées, les arbres en bordures de routes pris d’assaut, les panneaux de signalisation, même les églises, les mosquées… S’il ne faut se limiter qu’à ces affiches, un seul candidat se présentait, mais bon, c’est une autre paire de manches.

Bruits et fureurs électoraux
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Un militantisme d’un autre temps

Je m’arrête enfin à cette station et monte dans un taxi, direction la maison. Ma frustration est à son paroxysme, j’aurais au moins pu me payer à manger le lendemain, si je n’étais pas sorti. Nouveau taxi, nouveaux occupants. Taxi plein cette fois-ci. Trois dames derrière, plus moi, parce que j’étais le plus mince, et un monsieur devant. Le taxi démarre, et ça parle de tout et de rien derrière, normal, ces dames se lâchaient. Ça devait arriver, à un moment donné, les bonnes dames ont commencé à parler politique. Et ça parle de tous les candidats, ça décortique. Fiatouwo aurait snobé les dames du grand marché victime d’un incendie, son légendaire opposant Fiekpewè aurait passé son temps à marcher au lieu de se préparer sérieusement aux joutes électorales. Le président sortant serait resté silencieux devant les grognes sociales, d’ailleurs il communique exclusivement par le silence. Le monsieur de devant a cru bon, lui aussi rajouter son grain de sel : « Les élections dans ce pays n’ont jamais été crédibles, elles ont toujours été truquées et Fiekpewè a toujours été triché, dépouillé de son dû ». Ce devait assurément être la réflexion de trop, le chauffeur s’arrêta net, en pleine chaussée: « Ici, on soutient Fiatouwo ou rien, c’est ma voiture, vous sortez ou je vous sors de force, espèce de … ». Je me suis mis à bénir intérieurement ma frustration, je me serais fait jeter aussi si j’avais ouvert la bouche.

En rire ou en pleurer? Un taximan qui éjecte des clients parce que ces derniers ne supportent pas « son » candidat. Mieux (pire) cette dame qui tient des propos abjects et clairement tribalistes à cause de motivations clairement politiques.

La même journée, deux taxis, des attitudes extrémistes, des citoyens d’un même pays, qui n’ont rien compris, une tonne de comportements à risque. Que faut-il penser de tout cela ? Ne nous sommes-nous pas assez déchirés et tués pour des causes et des personnes qui n’en valaient pas la peine? Ne pouvons-nous pas être plus intelligents que ces politiques qui, sans toutefois se préoccuper de nous réussissent à  nous diviser?

Bruits et fureurs électoraux
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 L’adversaire, selon le Dictionnaire universel, c’est « la personne à laquelle on est opposé, contre qui on lutte« . L’ennemi par contre c’est « la personne qui hait quelqu’un, qui cherche à lui nuire« .

Ce récit, à quelques détails près est hélas basé sur des faits réels. Ne nous trompons ni de combat, ni d’adversaire. Le 25 Avril n’est assurément pas le jour de la fin du monde.

Allumons nos cerveaux !

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Commentaires

E.A
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Salam frère. Bel article.
Je reviens cependant sur un point special ""Je suis loin de partager son avis et ses convictions, c’est vraiment peu de le dire. Je suis cependant resté admiratif devant ce concitoyen qui, défendait sincèrement ce candidat dans lequel je ne me retrouve pas, par conviction et non pour les sous qu’il aurait reçu. Une chose que je respecte plus que l’intelligence, ce sont les principes et les convictions, non motivés par des billets de banque et/ou des ambitions malsaines. Il avait ses raisons, il n’a peut-être pas la même lecture que moi de la situation de ce pays nôtre, mais sa voix compte, autant que la mienne." J'ai une question par rapport à ça. A quoi mesure t-on les principes et les convictions ? J'ai une impression très profonde sur les réseaux sociaux ( je peux extrapoler à la vie réelle) que chaque personne qui a une position pro-unir par ces temps de campagne est perçue comme s’étant engagée pour des billets de banque et/ou des ambitions malsaines. d'ou mon insistance sur la tolérance dans la plupart de mes tweets. J'espere comme tu l'as dit que nous ne "tromperons ni de combat, ni d’adversaire. Le 25 Avril n’est assurément pas le jour de la fin du monde." Amitiés

Cyrille K. NUGA
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Il a donc fallu que je parle de politique et surtout de l'engagement pour un parti politique pour avoir l'honneur de te retrouver en ces lieux. Enfin...Les positions pro "Unir" (je n'ai parlé d'aucun parti dans ce billet) ou pas n'engagent que ceux qui les tiennent, c'est la défense de l'indéfendable et de l'incompréhensible qui m'étonne personnellement. Après je ne fais pas seul les réseaux sociaux. J'ai fait une expérience de vie ce dimanche, ce que j'ai envie de dire après c'est juste "que chacun assume ses engagements, et y reste fidèle". Le charme de cette vie réside aussi dans le fait que nous ne pouvons pas tous regarder dans la même direction. Après tout, un choix qu'on assume on a pas besoin d'en apprécier le reflet ou l'approbation dans les yeux des uns ou des autres!

Fotso Fonkam
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C'est terrifiant, la façon dont certaines personnes prennent les élections, la politique... Ça devient une bataille rangée entre deux clans, deux tribus, deux villages. Et les conséquences sont parfois celles qu'on sait: dans le meilleur des cas, on ne vote pas celui qui peut améliorer les conditions de vie des citoyens. Dans le pire des cas, les résultats s'accompagnent de troubles graves. Les africains ont grand besoin d'éducation politique.

Cyrille K. NUGA
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Et quand tu entends certains propos, t'as l'impression de rêver. T'as envie d'en secouer un et de lui dire "sérieux on est à l'ère d'internet". La politique est un jeu de dupes, et les élections, souvent créent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent, mais ça aussi c'est une autre paire de manches. Ravi de te lire par ici tonton.

Guillaume DJONDO
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Magnifiquement écrit. Avec tout ça on nous dit qu'il y a une réconciliation nationale. Réconciliation, mon œil. Ces discours ne sont pas de nature à réconcilier qui que ce soit. Quand on leur dit d'appliquer les recommndations de la CVJR, ils ont cru que ça ne comptait que pour du beurre. Waitons et Seeons seulement.

Excellent billet Fofo.

Cyrille K. NUGA
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Analyser cela sous cet angle ferait un autre article, et oui j'ai bien peur qu'il y en ait qui pensent comme cette dame. A se demander ce qu'une si jeune dame a à reprocher à une ethnie en particulier, mais bon... merci pour l'attention Guillaume. C'est le moment de faire ce que nous essayons de faire le mieux, écrire, qu'on ne nous reproche pas encore une fois d'être inutiles!

Natura
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Certaines personnes ne font pa souvent l'effort de voir plu loin ke le bou de leur nez.elles ne fon aucun effort de.faire travailler leur tete,de faire usage de leur raison et faire la part des choses.la politique dans la plupart des pays africains se resument au suivisme.les gens.comprennent rien mais s'adonnent à des mouvements ethniques..tout ca c'est de l'ignorance.

Cyrille K. NUGA
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Tout est dit. Merci beaucoup tata Nadia!

Eli
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Excellente production frère. Les leaders politiques portent une part de responsabilité quant à la propension de certains citoyens à réduire le débat politique à une question ethnique. L'éducation civique n’incombe pas qu'aux écoles et ONG. Les partis ont aussi leur rôle à y jouer pour faire comprendre que le rejet d'une politique ne doit pas ouvrir la voie à l'intolérance... Et puis si l'aventure avec la demoiselle est aussi basée "sur des faits réels" je te souhaite bonne chance ;-)

Cyrille K. NUGA
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Hahaha il n'y a vraiment que toi pour relever l'épisode de la demoiselle hein :-D, et je rejoins totalement ton analyse, mais je crois qu'ils (les partis politiques) ont fait le choix de ne pas s'impliquer à ce niveau, peut être à dessein. N’essayons même pas de les rappeler à l'ordre, il sont beaucoup trop occupés à se mordre la queue, ainsi va le Togo!

renaudoss
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Excellent! Tout ceci a les relents d'un passéisme qui ne dit pas son nom. C'est effarant de voir à quel point les masses (et les individus) peuvent régresser sévèrement en des temps pareils. Réapparaissent des gestes et des postures qu'on aurait cru disparues. tout cela n'augure rien de bon globalement. Quant à certaines convictions et certains points de vue, j'en ai une opinion très très précise de la chose. C'est encore autre chose.
Enfin, du reste, en matière de singeries, l meilleur est à venir.

Cyrille K. NUGA
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En espérant que ce soit vraiment Le meilleur, toute ironie mise de côté. Dans la mesure où rien n'est fait pour exorciser ces vieux démons (que moi aussi je croyais relégués en enfer...), anyway le prochain mandat sera celui de la réconciliation dans la continuité, on ne sait jamais ...

Eteh K. ADZIMAHE
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Merci pour ces contes de campagne; lol... les avances sur câlins doivent sûrement être versés à toi, le bénéficiaire le dimanche prochain pour d'autres comptes ? pour que courses en taxi s'en suivent, et que dames et hommes passagers exultent leurs préférences électorales, et qu'en retour, que dis-je, au retour, tu les couches ici en mondoblagueur. Euh pour le johnnie Walker, il y a un sens connoté dans les années 2000, rappelle moi de t'en parler en privé au prochain tweetup? lol

Ruth Ametepe
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La politique a l'etat de la matiere ne peut que donner ca. Et ventre affamee n'a point d'oreille dit-on, le citoyen ordinaire a faim tres faim, il ne veut pas se perdre dans des tourments intellectuels. Conclusion ils sont en plein dans l'oeil du cyclone sans meme le savoir. C'est triste qu'ils soient pres a s'entretuer pour " ... " je ne saurai comment designer ca.

Cyrille K. NUGA
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Un plaisir de te lire par ici très chère, de plus je n'ai rien à rajouter à ton analyse à laquelle je souscris totalement. Au plaisir de te retrouver très vite!