L’étudiant togolais, ce parent pauvre !

Article : L’étudiant togolais, ce parent pauvre !
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8 décembre 2014

L’étudiant togolais, ce parent pauvre !

L'étudiant togolais, ce parent pauvre!

Étudiez, prenez de la peine,

C’est le fonds qui manque le moins,

Un citadin togolais sentant sa mort prochaine,

Fit venir ses enfants,  leur parla sans témoin,

Gardez-vous, leur dit-il, de négliger l’école des Blancs,

Un trésor est caché dedans.

C’est le discours que la plupart des parents tiennent à leurs enfants. Les études voyez-vous sont (étaient) le seul véritable ascenseur vers les sommets pour les enfants d’origine modeste.

L’université est synonyme de galère et de stress pour certains et de moments privilégiés pour d’autres. Les autres ? Mes parents par exemple, ils parlent toujours avec un peu de nostalgie de la fac. Ils étaient des quasi-salariés de l’Etat, touchaient, quelques uns du moins, de véritables fortunes tous les mois. Faire des études supérieures, c’était autrefois magique, prestigieux et gratifiant.

Qu’est-ce qui s’est passé par la suite ? Je crois que notre pays a vécu une crise d’adolescence. Vous savez, cette période de notre vie où on remet en cause l’autorité de nos parents. On les trouve détestables, on les compare à des tyrans (ou on les voit comme ils sont vraiment).

Les années 90 justement ont été mouvementées, et certains ont voulu virer le père de la nation.

Changer de père, vous avez osé demander ça!

Au sortir de cette crise, Papa 1, père de la nation a donc décidé, aidé par la rupture de la coopération , de couper les vivres aux enfants récalcitrants.

Vous avez voulu manger du fruit de l’arbre défendu? Eh ben je vous renie.

Je vous ai placé dans le jardin d’Eden la brousse de Lomé 2, vous avez goûté au fruit de la révolte, je vous maudis. Puisse cette malédiction vous suivre toute votre vie.

Nous autres Africains avons une grande  crainte de nos parents, et quand papa (même le pire des géniteurs) te maudit…

Imaginez un maître de conférences (Bac +8 minimum)  qui se retrouve à faire cours dans le même amphi qui a vu ses premiers pas au campus? L’étonnement grandit quand ce dernier vous dit que la salle avait dans le temps portes et fenêtres. Il y a vraiment de quoi se demander si une malédiction ne plane pas au-dessus du campus.

Le père mort, les enfants débarquèrent au campus…

J’ai obtenu mon bac l’année qui a suivi le décès du père que certains ont voulu virer. Papa 2 voulait marquer son arrivée à la tête de la famille.

Papa 2 aka « Le fils du père » aka celui qui enlève les péchés de la nation et qui est l’exécuteur constitutionnel de son père… 

Construction de stades (amphithéâtres de 1000 places) par-ci, introduction du LMD par là, rétablissement des bourses (allocations?). Ces pseudo efforts contrastaient avec la perte actée de prestige de l’institution universitaire.

Justement, pour toucher ces maigres sous, un compte bancaire avait été ouvert à nous autres de la promotion 2006-2007 à l’Union togolaise de banque (UTB).

Nous devenions pour la plupart et pour la première fois de nos vies, titulaires d’un compte bancaire. Ce que nous n’avions pas compris c’est que cela ne faisait pas de nous des clients de la fameuse banque.

Comme des déshérités!

Je passe sur les regards méprisants, les propos irrespectueux des portiers, plantons et autres employés ou subalternes de l’UTB. Nous aurions été des pestiférés qu’on ne nous aurait pas traités avec autant de condescendance.

Après, quand même l’illettré ose se payer ta tête, alors que tu fais des études supérieures, que le taxi moto te traite de futur chômeur et de malheureux et que le militaire voit en toi un punching ball…

Au sujet des militaires justement, notre relation d’amour avec ces derniers était tellement forte qu’il nous avait été conseillé d’éviter de présenter des cartes d’identité sur lesquelles « étudiant » figurait comme profession, pendant les contrôles d’identité et surtout la nuit. Vous n’imaginez même pas présenter une carte d’étudiant!!

L’auditeur que je suis touche une somme de 25 000 F Cfa le mois (38 euros), payée en bloc tous les six mois.

Il y a quelques semaines, j’ai dû faire ce déplacement que nous redoutons tous, parce qu’éprouvant pour notre amour propre. Mes courses ce jour-là m’ayant conduit à quelques encablures de l’agence principale de l’UTB, j’ai décidé faire d’une pierre deux coups.

Au bout de trois quarts d’heure d’attente, la préposée après avoir vérifié mon relevé d’identité bancaire m’a lancé :

 « Vous êtes un étudiant, je ne puis vous servir, rendez-vous dans une autre agence, n’importe laquelle« 

Mon étonnement passé, je me suis rendu à l’agence du Grand marché.

Une chose que la vie d’étudiant vous apprend, c’est la patience… en faisant la queue. La queue pour avoir des informations, la queue pour s’inscrire, la queue pour manger, la queue pour tout et n’importe quoi (la queue pour trouver un emploi, sauf que dans ce cas, il faut trouver et être au bon bout).

C’est simple, tout commence et se termine par une queue au campus (esprits mal tournés, abstenez-vous).

Faites la queue ou la moue
Faites la queue ou la moue

Je rejoins donc une queue, que j’ai dû quitter au bout de 20 minutes pour faire une copie de ma carte d’identité nationale (une autre règle qui ne s’applique qu’aux étudiants).

Un zarma* a pendant ce temps flairé un filon et soutire 100 F CFA à chaque étudiant qui a besoin d’une copie (les mêmes copies auraient coûté 20 F CFA au campus).

Au bout de plus d’une heure d’attente, me voici enfin devant la préposée (la deuxième).

Elle : Bonjour Monsieur,

Moi : Bonjour (sec*)

Elle entre alors mon numéro de compte, demande le montant à retirer et me dit ce qui suit :

Vous n’êtes plus un étudiant, Monsieur. Vous devriez ouvrir un compte d’épargne, cela vous évitera de perdre autant de temps.

Ainsi l’étudiant a du temps à perdre et le temps des non-étudiants est précieux.

Vous tous assis derrière des desk aujourd’hui avez été étudiants dans un passé pas si lointain, enfin ceux qui n’ont pas trouvé leurs diplômes dans une pochette surprise ou dont les compétences ne sont pas sexuellement appréciables.

Je comprends mieux maintenant le mépris que certains (la plupart) ont pour les universitaires, ce ne sont que de grands étudiants. Comprenez pourquoi il y a de moins en moins d’enseignants (des passionnés du moins), pourquoi la qualité de l’enseignement est en berne.

Comprenez pourquoi, en attendant l’avènement de la troisième personne de la trinité papa (jamais 2 papas sans 3), je doute que le lait et le miel puissent couler un jour.

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Commentaires

Eteh K. ADZIMAHE
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C'est un non-étudiant fou ! c'est à se demander ce qu'il reste dans sa tête ! Mais je suis mort de rire avec des remords de rire... il faut qu'il écrive souvent ... et surtout qu'il nous dévoile le nom de ce zarma flaireur de filon. Ne serait-ce pas un Aphtal Cissé par hasard ? #jdcjdr

Cyrille K. NUGA
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Hahahahaha non, ce n'est pas Aphtal le zarma, en tout cas le gars prend un malin plaisir à se payer nos têtes. Il va faire l'effort d'écrire plus souvent, mettez lui un peu de pression aussi :-D, ravi de te lire par ici!!

Aboudramane koné
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comme tous les étudiants d'afrique cyrille

Cyrille K. NUGA
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C'est dommage alors très cher ami, comment passerons nous de pestiférés à relève de la nation?? Les choses doivent changer!

renaudoss
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Excellent camarade, excellent! Je ne sais où commencer, j'ai vraiment adoré la description, on s'y croirait presque (toutes proportions gardées bien évidemment). Les tranches, les amphis... et surtout (et surtout) ces espèces d'Imbéciles de co0é$énnards de M...rde de banquiers (surtout les caissières) qui te regardent de travers, d'un oeil torve comme si tu étais la dernière merde de l'humanité... C'est à croire qu'ils oublient que d'une manière ou d'une autre, nous sommes appelés, nous aussi, les "Broussards" à entrer dans le système en gravier les échellons (ou bien il y a une conspiration et on est pas au courant). C'est vraiment quelque chose.
C'est surtout quand tu commence à mettre un pieds (ou deux) dans le monde du travail que tu saisis la schizophrénie et l'absurdité profonde de cette discrimination anti-étudiant.
Bel article camarade, on s'y croirait presque, et il y aurait tant et tant à dire sur le sujet.

Cyrille K. NUGA
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C'est juste inadmissible, quand les élites (ou celles en devenir) sont prises pour de la merde, et on ne peut se plaindre nulle part...il est beau mon pays!!!

eli
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Hum..vraiment. La mine que vous fait le sodja rien qu'à la vue du mot "étudiant" sur votre carte vous donne envie de fuir au plus vite. Mais si l'étudiant a perdu son prestige c'est pas seulement parce qu'on a voulu virer le père. Dévaluation aussi est passée par là :-)

Cyrille K. NUGA
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La dévaluation, le Bénin l'a connue, est ce que la situation est la même là-bas? Je ne crois pas très cher, mais bon l'émergence nous sauvera :-D

sidiki diarra
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Salut!Très beau billet,je vous encourage à travailler de plus.

Cyrille K. NUGA
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Merci beaucoup très cher

Djifa Nami
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Ah que c'est bien dit! Cela me rappelle de bons (pas toujours beaux) souvenirs du campus . Moi je l'ai connu pendant la so-called transition en 93-95. On ramait, mais on avait encore du souffle de l'envouragement de nos parents qui avaient vu et cru au bonheur de la fac, et croyaient vraiment qu'un passage au campus ouvrirait une grande porte au futur et pas juste sur le blvd...Du courage!

Cyrille K. NUGA
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Les conditions ont hélas à peine évolué grande soeur, beaucoup de poudre aux yeux pour se rendre compte qu'en réalité rien n'a changé...encore une fois merci beaucoup d'être passée par ici :-D

Djifa Nami
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Elavagnon...gbedeka! ;)

Cyrille K. NUGA
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Mawu né woè looo!! mi lé ébé assi mé.